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Cyclistes et automobilistes s’arrachent les rues de Bruxelles

Le nombre de cyclistes grimpe dans la capitale. Tout comme la tension qui règne entre les automobilistes et les adeptes du deux-roues. Un phénomène qui s’observe sur la route, mais aussi sur les réseaux sociaux. « Le prochain cycliste qui fera encore l’abruti aura droit à un tête-à-tête avec mon pare-brise. »

Vendredi soir, la police bruxelloise a dressé un procès-verbal pour coups et blessures portés à deux cyclistes dans le quartier Dansaert. Julie De Clercq (40 ans) rentrait chez elle sur son deux-roues après avoir bu un verre avec des collègues. « Nous faisions mine de traverser quand une voiture a déboulé, beaucoup trop vite dans cette rue assez étroite. Le conducteur nous a fait signe de dégager, je lui ai demandé de se calmer d’un signe de la main. Il est alors sorti de la voiture et m’a porté un coup très violent au visage. J’étais particulièrement choquée, mais tous les amis bruxellois à qui j’ai raconté ma mésaventure m’ont dit avoir déjà vécu une expérience similaire. »
Une expérience que partage Clara Vanmuysen (36 ans), domiciliée à Saint-Josse-ten-Noode. « J’ai été traitée de “sale pute” parce que mon mari, qui roulait en vélo devant moi, a fait signe à un automobiliste de ralentir. Dans notre rue, qui est assez étroite, un conducteur a commencé à klaxonner et à crier sur mes enfants et moi parce qu’il ne pouvait pas nous doubler. C’est un problème fréquent : dès que les voitures ne peuvent pas nous doubler, on en vient à se battre pour son bout de territoire. Dès qu’ils peuvent nous dépasser, ils donnent un bon gros coup d’accélérateur pour nous remettre à notre place. On sent vraiment leur frustration. »
Durant des décennies, Bruxelles a été le temple des automobilistes, mais la roue commence à tourner. Elke Van den Brandt (Groen), actuelle ministre de la mobilité, a fait du vélo le fer de lance de sa politique. Cette année, elle a annoncé la création de 40 kilomètres de piste cyclable. Sur la rue de la Loi, une bande de circulation disparaîtra même pour faire place aux cyclistes (De Standaard 29 avril). Et il semblerait que les infrastructures déjà en place, aidées par la crainte de contaminations au coronavirus dans les transports en commun, attirent les foules : les chiffres de Bruxelles Mobilité indiquent une croissance fulgurante de 75 % du nombre de cyclistes dans les rues de Bruxelles durant la première semaine de la rentrée scolaire. Ils montrent aussi une réduction de 4 à 8 % du trafic routier.

« Dictature verte »

Plus de vélos sur les routes, mais pas significativement moins de voitures : c’est la recette explosive pour obtenir des rues engorgées où la tension est à son comble, comme le vit quotidiennement Thomas Schoenmakers, du centre bruxellois d’expertise Pro Velo.
« Depuis la fin du confinement, je vois de plus en plus d’usagers de la route se battre pour leur morceau de territoire, notamment dans les quartiers plus densément peuplés. Les automobilistes ne sont plus seuls sur la route. Une situation qui les frustre et qu’ils reportent sur les cyclistes. »
Et qui mène à une violence routière encore difficile à chiffrer. La police n’a aucun nombre précis à nous donner, surtout lorsqu’on sait que les usagers de la route portent rarement plainte pour violence verbale.
Cette agressivité ne se limite pas aux rues de notre pays, elle s’étend également sur les réseaux sociaux. On voit fleurir sur ces réseaux bon nombre de groupes de défenseurs autoproclamés de la voiture.
Le plus populaire d’entre eux s’intitule « L’automobiliste en a marre ! », une initiative de l’ASBL Mauto Défense. Cette association a attiré plus de 16 000 membres depuis sa création en octobre 2018. Lucien Beckers, son président, explique « cultiver une véritable passion pour la voiture depuis le plus jeune âge ». Il organise des rallyes et a déjà participé à de tels événements. Il explique : « Pour moi, et pour beaucoup de nos membres, la voiture est l’un des plaisirs de la vie. Un plaisir dont on veut nous priver à Bruxelles en limitant nos libertés. Ils veulent faire disparaître la voiture. Et ça entraîne des frustrations. »
Il déclare ne rien reprocher « aux cyclistes et aux amateurs de deux-roues, mais bien aux autorités régionales qui exploitent honteusement la crise sanitaire pour mener une guerre sans merci à la voiture ». « On ne nous écoute pas. Les autorités décident d’installer des kilomètres de piste cyclable de manière unilatérale et sans étude d’impact. Le tout sous couvert du Covid-19. » C’est ce qu’affirme Lucien Beckers, qui parle même de « dictature verte ». Il s’apprête à intervenir en justice « contre la création illicite de pistes cyclables et les perturbations qu’elle entraîne ».
Le groupe s’oppose également à la réduction du trafic routier dans le bois de la Cambre (De Standaard, 31 août). Lucien Beckers ne pense également pas qu’une réduction du nombre de voitures sur nos routes est indispensable pour rendre la ville plus agréable et lutter efficacement contre le changement climatique. « C’est une pure aberration écologiste. »
Les frustrations dont Lucien Beckers fait part se traduisent en messages de haine sur le groupe « L’automobiliste en a marre ! » Des propos qu’il condamne fermement. On peut y lire : « Un bon cycliste est un cycliste mort. » ou « Les passages cloutés sont faits pour les piétons. Quand je vois un cycliste les emprunter, j’essaie de l’écraser. » Ou encore « Le prochain cycliste qui fera encore l’abruti aura droit à un tête-à-tête avec mon pare-brise. » Quand une dame écrit qu’un automobiliste a renversé des enfants à bord d’un vélo cargo, quelqu’un répond : « Bonne nouvelle ! ».

La haine sur le net, la violence dans la rue

Pour Pieter Fannes, membre de Heroes for Zero, une initiative citoyenne qui souhaite réduire à zéro le nombre de morts sur les routes de la Région Bruxelles-Capitale, ces messages de haine attisent « la violence sur la route ». « Je crains que ces gens créent une ambiance où la violence à l’encontre des cyclistes est légitime. » Une inquiétude que partage la ministre Van den Brandt. Elle commente : « On observe que la haine sur les réseaux sociaux se traduit en violence dans la rue. Mais nous maintenons notre message : plus de cyclistes sur la route, c’est un trafic plus fluide, aussi pour les automobilistes. Parce qu’un vélo de plus sur la route, c’est une voiture de moins dans les embouteillages. »
Les réactions de groupes tels que « L’automobiliste en a marre » montrent que tous les Bruxellois ne partagent pas cette vision des choses.